Une étude sur l’évolution de la production et du besoin en énergie en France, dans le contexte du réchauffement climatique et de la raréfaction des ressources, par RTE.
Depuis mai 2019, RTE s’est lancé dans un grand travail de prospective sur l’évolution du secteur de l’énergie en France, et plus particulièrement de l’électricité. Cette étude comporte un solide volet technique et est basée sur des scénarios, lesquels ont été débattus à de nombreuses reprises par les groupes de travail techniques composés d’experts (entreprises, associations, cabinets de conseil, acteurs publics). Tous ont été étudiés au regard de la Stratégie Nationale Bas-Carbone, la stratégie française pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
Ces scénarios ont notamment été comparés selon 4 angles :
- technique (description du système production-distribution-consommation, sensibilité aux aléas climatiques)
- économique (compétitivité des différentes sources d’énergie, perspectives de relocalisation/réindustrialisation)
- environnemental (impacts sur le réchauffement climatique, sur les ressources fossiles et minières, sur la pollution locale et l’occupation des sols)
- sociétal (évolution des modes de vie et de consommation, flexibilité de la demande, sobriété volontaire et subie)
Pour la composition de scénarios, l’étude fait varier plusieurs paramètres au niveau :
- de la production d’énergie (parts respectives du nucléaire et des énergies renouvelables, vitesse de la transition, développement ou non de la filière hydrogène vert)
- de la consommation (évolution de l’économie nationale en général, de l’industrie en particulier, vitesse d’électrification des usages, vitesse d’adaptation des entreprises et des consommateurs)
En résumé
Les grands résultats de l’étude sont synthétisés au sein de 18 enseignements qui s’inscrivent tous dans une problématique générale : sortir des énergies fossiles.
RTE pointe en effet une dépendance historique de la France aux fossiles, avec deux grands effets : la sensibilité des acteurs économiques aux cours mondiaux des énergies (via les crises successives) et une empreinte carbone par habitant supérieure à la moyenne mondiale (et a fortiori non soutenable).
Certains enseignements s’appliquent à tous les scénarios : l’efficacité énergétique et la sobriété ressortent comme deux leviers indispensables pour réduire la demande en énergie, mais la consommation globale d’électricité (notamment issue de sources renouvelables) est appelée à augmenter.
Quant aux technologies de capture et de stockage de carbone (CCS), elles sont écartées d’emblée car jugées non matures. Malgré le grand espoir que certains ont pu placer dans ces technologies, baser une stratégie de décarbonation sur les CCS présenterait un risque pour les générations futures et maintiendrait le secteur de l’énergie dans une optique de solutionnisme technologique peu compatible avec la notion de sobriété.
Outre les aspects environnementaux, l’indépendance vis-à-vis des fossiles répond à un second enjeu majeur : la souveraineté. Cela se ressent dans plusieurs thèmes de l’étude :
- le recours aux énergies issues de biomasse et de déchets, moins dépendant en ressources importées (métaux) que les autres énergies renouvelables
- le renoncement aux achats de gaz vert depuis l’étranger
- la mise à l’écart de techniques jugées risquées comme les CCS
Dans cette optique, le recours au nucléaire met face à un dilemme en raison du risque technologique associé et de sa dépendance au minerai d’uranium.
C’est notamment par cet objectif de souveraineté énergétique que les conclusions de RTE se démarquent de travaux similaires qui ont pu être menés dans d’autres pays européens.
RTE conclut sur une note d’urgence mêlée d’espoir, et insiste sur l’ampleur du défi et la nécessité d’agir dès aujourd’hui pour atteindre un système électrique neutre en carbone et abordable d’ici 2050.
Impacts pour les entreprises
Quels enseignements tirer de cette étude ? Pour les entreprises, il y a d’importantes conclusions à retenir en termes d’orientation stratégique : l’électrification globale du secteur économique, l’évolution des marchés, l’apparition de nouvelles contraintes.
Electrification
Actuellement, les énergies fossiles représentent 51% de la consommation d’énergie finale dans l’industrie (contre 36% pour l’électricité), et 91% dans le secteur des transports. Tous les scénarios étudiés par RTE conduisent à une électrification importante des usages :
- dans les transports, il s’agit d’atteindre 94% de véhicules électriques pour les véhicules légers et 21% pour les poids lourds en 2050
- dans l’industrie aussi, un remplacement des fossiles par l’électricité est à prévoir
- dans le tertiaire l’électrification passe principalement par le remplacement des chaudières à gaz et au fioul par des pompes à chaleur
Cependant l’étude ne planche pas sur un avenir tout électrique : à l’avenir l’électricité devrait coexister avec d’autres sources d’énergie renouvelables : biogaz et biocarburants, gaz & carburants de synthèse (dont hydrogène), biomasse. L’électrification devrait à elle seule réduire de 35% les émissions de GES en France d’ici 2050 (par rapport à son niveau de 2019).
A ce sujet, RTE insiste sur la nécessité d’accélérer l’électrification dès le prochain cycle d’investissement. Si les appareils électriques sont souvent plus coûteux à l’achat (ex : une pompe à chaleur contre un chaudière gaz), ils se révèlent en général plus économes à l’usage. Cette généralité devrait se renforcer à l’avenir, malgré l’augmentation prévisible du coût du kWh électrique, en raison de la volatilité attendue des cours des fossiles.
L’étude pointe enfin le retard pris par l’industrie française face à ses concurrents dans le domaine de l’électrification, alors même que la compétitivité économique et carbone de l’électricité en France devrait plutôt l’encourager.
Evolution des marchés
Concernant l’évolution des marchés en France, il y a plusieurs points importants à retenir :
- une augmentation des coûts de production de l’électricité (valeur médiane : +15% d’ici 2050, hors inflation) qui aura des répercussions sur le prix payé par le consommateur.
- une augmentation drastique du cours de matériaux essentiels à la transition énergétique, notamment le cuivre, le cobalt, le lithium, le silicium, ainsi que des composants électroniques.
- le développement des EnR (notamment solaire et éolien), la relance probable du nucléaire français (notamment via les petits réacteurs modulaires ou SMR), le développement de la mobilité électrique et potentiellement de la filière hydrogène appellent à la création de nouvelles filières économiques en France et en Europe, et à plus de R&D.
- la réindustrialisation est mise en avant par l’étude comme un puissant levier de maîtrise de l’empreinte carbone nationale. Si RTE arrive à faire prévaloir son point de vue, on peut s’attendre à voir de nombreuses filières se relocaliser.
- la sobriété, qu’RTE a étudiée sans lui porter de jugement positif ou négatif, est également un facteur de succès de la transition énergétique. Son adoption en tant que projet de société (au-delà d’une simple somme d’actions individuelles et d’injonctions à moins consommer) devrait notamment ralentir la production de biens (en raison de l’allongement de la durée de vie des équipements) et impacter les revenus du secteur de l’agroalimentaire.
Energies renouvelables et maîtrise des consommations
Le fort développement des énergies renouvelables devrait également impacter les entreprises.
Pour le solaire et l’éolien, RTE souhaiterait privilégier les grandes installations, hors de portée des entreprises non spécialisées. Les petits parcs solaires et éoliens avec injection totale ou partielle dans le réseau sont en effet plus complexes à gérer. En revanche, RTE a pour objectif de voir se développer l’autoconsommation. Il y a donc des chances que les aides publiques pour ce type d’installation deviennent de plus en plus intéressantes.
L’hydrogène n’est pas excessivement mis en avant par l’étude, qui le réserve en priorité aux secteurs difficiles à électrifier : raffinage, production d’ammoniac et chimie en général, transport routier longue distance. Un scénario nommé « Hydrogène + » envisage néanmoins un déploiement plus poussé de l’hydrogène bas carbone, en développant la demande dans des secteurs particuliers : sidérurgie, transport maritime (sous forme d’ammoniac), aviation.
Enfin le dernier levier identifié par l’étude est celui du pilotage de la consommation. Les différents scénarios envisagent une augmentation des capacités d’effacement de puissance : x2,5 à x10 d’ici 2050. Cette augmentation devrait être facilitée par l’électrification des usages d’une part, par les technologies numériques de gestion de la demande d’autre part (avec un nouvel enjeu de cybersécurité et de gestion de données pour les acteurs concernés). En tant qu’entreprise, il est d’ores et déjà pertinent de réfléchir à la possibilité de participer aux mécanismes d’effacement.
Le mot de la fin
Pour conclure, voici un des enjeux majeurs soulevés par l’étude :
« Or cette transformation doit intervenir dans un contexte sociétal où les résultats doivent être rapides, pendant que se développent des phénomènes d’opposition systématique y compris quand ces infrastructures sont indispensables pour la transition énergétique. Il en résulte un paradoxe. »
Autrement dit, l’économie va entrer dans une phase de changements profonds, qu’ils soient nécessaires ou subis, et pour la traverser avec succès les acteurs de l’énergie comme les entreprises devraient recommencer à penser sur le temps long, dès aujourd’hui, plutôt que de se restreindre aux projets et tendances à court terme… avec le risque de se perdre dans la tempête de changements à venir.
Source : Futurs énergétiques 2050 – Principaux résultats, oct. 2021, par RTE
Disponible en ligne à cette adresse
Rédigé par Stéphane PAROUBEK, Ingénieur chez OID Consultants